CSRD : La transparence et l’obstacle

‘Je vais être transparente avec vous’, ‘Pour être tout à fait transparents’, ‘En toute transparence, je vais vous dire…’

Comme le ‘j’avoue’ des années lycée, le ‘je suis transparent’ du monde du travail fait apparaître dans nos conversations ordinaires la tentation d’une confession rousseauiste, révélant une tension entre le dévoilement du ‘Je’ et le désir d’un jugement extérieur. Rousseau publie ainsi les Confessions pour montrer un homme ‘dans toute la vérité de la nature’, et sollicite dans le même temps son examen, attendant la trompette du jugement dernier pour se présenter devant le ‘souverain juge’.

Cette volonté quelque peu paradoxale de se dévoiler dans sa singularité tout en sollicitant un jugement, c’est-à-dire une comparaison, fait toute la profondeur de la notion de transparence, au cœur des débats politiques depuis plusieurs années et, de façon plus récente, de la sphère économique et en particulier des enjeux Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) des entreprises.

 

Sommaire

La transparence au cœur de la CSRD

La nouvelle directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2024, place la transparence au cœur de son dispositif. Ce texte vise en effet à l’harmonisation des données extra-financières des entreprises ; les rapports de durabilité qui seront publiés à partir de 2025 devront ainsi présenter des informations standardisées et homogènes.

Concernant le climat (un des cinq sujets environnementaux couverts par la norme), les entreprises devront ainsi partager des données relatives à leurs activités (ex. consommations d’énergie, origine de l’énergie utilisée, part des fossiles…), leurs impacts (ex. émissions de gaz à effet de serre directes et indirectes) et leur ‘plan de transition’. Ce plan ne peut pas se résumer – comme c’était trop souvent le cas jusqu’alors – à des engagements plus ou moins précis, mais doit inclure notamment :

  • Des objectifs de décarbonation à court, moyen et long-terme
  • L’alignement de la trajectoire de décarbonation de l’entreprise à l’objectif de l’Accord de Paris sur le climat (limitation du réchauffement de moins de 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle)
  • Les moyens financiers associés pour parvenir à ces objectifs, à la fois en termes d’investissements (CAPEX) et de dépenses récurrentes (OPEX)
  • Les leviers de décarbonation utilisés (ex. électrification, substitution d’énergies fossiles à des énergies renouvelables, sobriété des usages..)

 

Les exigences concernant les autres sujets environnementaux – pollution, eau et ressources marines, biodiversité, utilisation des ressources et économie circulaire – procèdent de la même logique :

  • Identifier les impacts du modèle d’affaires de l’entreprise : les activités réalisées sont-elles compatibles avec le maintien d’écosystèmes en bonne santé et sur le long-terme ?
  • Préciser la stratégie de l’entreprise pour y remédier : objectifs chiffrés, alignement avec le consensus scientifique pour établir le caractère durable des actions envisagées, moyens financiers et humains associés, description des actions concrètes à mener

Le ‘cœur du réacteur de la finance durable’

Parce qu’elle permet la comparabilité des informations, la CSRD est considérée par de nombreux investisseurs comme une opportunité de rationaliser les critères d’investissement.

La CSRD s’intègre dans une dynamique plus générale au niveau européen initiée en 2019 avec le Pacte vert (Green Deal), un ensemble de mesures visant à engager la transition écologique de l’Europe. Parmi ces mesures (dont la liste détaillée est disponible ici), on retrouve à la fois des textes visant à encourager ou interdire certaines pratiques (ex. création des conditions d’un marché de l’hydrogène, pénalisation des crimes environnementaux comme le commerce illégal du bois ou le captage d’eau), mais aussi, et de façon plus fondamentale, des textes visant à mieux poser les termes du débat.

La taxonomie verte est représentative de cet effort d’appréhension du monde sous l’angle écologique : elle propose un système de classification des activités économiques permettant d’identifier les activités durables d’un point de vue environnemental. L’objectif de cette classification est de guider les investissements privés vers ces activités à impact positif (ex. atténuation du changement climatique, protection des ressources marines, transition vers une économie circulaire…).

La CSRD s’appuie sur ce texte et permet d’aller plus loin : les entreprises doivent non seulement indiquer la part de leurs activités qui est ‘durable’ au sens de la taxonomie, mais aussi rendre compte du caractère durable de leur modèle d’affaires dans son ensemble en interrogeant sa compatibilité avec le respect des limites planétaires. Ces efforts de normalisation peuvent paraître contraignants – on relève souvent le nombre élevé d’indicateurs demandés (plus de 1000), en oubliant de préciser qu’ils ne sont pas tous obligatoires – mais ils vont en réalité probablement alléger les contraintes de reporting des entreprises en se substituant aux nombreuses initiatives dites ‘volontaires’ (ne relevant pas de la réglementation) qui se sont multipliées ces dernières années, décrédibilisant parfois l’investissement ESG et son cortège d’acronymes – la ‘soupe à l’alphabet’. C’est en ce sens que Robert Ophèle, alors président de l’AMF, avait déclaré en 2022 que la CSRD constituait le ‘cœur du réacteur de la finance durable’.

La transparence de la CSRD : un moyen et non une fin

Malgré ces avancées significatives, la CSRD est avant tout une initiative liée à la transparence, c’est-à-dire à l’accessibilité et la lisibilité de l’information. En créant un langage commun autour d’enjeux qui sont souvent mal définis, elle favorise les conditions du dialogue entre les acteurs économiques, mais elle n’impose ni les termes ni l’issue de cette conversation.

Il s’agit là d’une distinction essentielle, et parfois mal comprise : la CSRD est une exigence de moyens (comprendre et communiquer de la façon la plus juste possible), mais pas de résultats. Une entreprise pourra être conforme à la CSRD même si sa trajectoire n’est pas compatible avec l’Accord de Paris, ce qui est d’ailleurs le cas de la grande majorité des entreprises du CAC 40.

La CSRD agit finalement comme la comptabilité : parce qu’elle permet de prendre en compte et de compter des éléments du réel, elle engage la responsabilité des entreprises, qui seront ‘comptables’ de leurs résultats, et devront éventuellement rendre des comptes devant la société. Il s’agit donc d’un outil, indispensable pour engager l’action, mais pas de l’action en elle-même.

Dans son essai sur Rousseau, Starobinski associe le désir de transparence défendu par l’auteur à l’obstacle inévitable lié à l’impossibilité d’une parfaite communicabilité des êtres. Or c’est précisément par cette tension que la transparence révèle sa force créatrice : rendre lisible c’est pouvoir être lu, compris, interprété, traduit en action - et peut-être parfois en justice. Parce que la transparence est indissociable de l’obstacle, la CSRD doit être vue comme cela : l’étape préalable, nécessaire mais non suffisante, à la responsabilité sociale et écologique des entreprises.

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